Certains managers (gestionnaires) ont un talent particulier. Ils arrivent à faire fonctionner des équipes avec des individualités intéressantes, mais sensibles dans les relations internes ou avec les clients. Ils sont à l’aise avec la complexité, avec des règles du jeu changeantes. De tout cela, ils savent construire des activités durables, à forte valeur ajoutée. En résumé, ils savent « faire avec la fragilité ». Ils ont du tact, du doigté, de la finesse. Nous ne pouvons qu’être émerveillés par les performances qu’ils obtiennent et par la manière qu’ils ont de conduire leurs projets.
À contrario, d’autres gestionnaires ont besoin d’un environnement stable et d’équipes solides. Ils complexifient les situations et malmènent parfois leurs équipes. Souvent par défaut de sensibilisation et de compétences, ils peuvent être amenés à détruire la valeur humaine et économique.
Il va de soi que notre époque demande plus que jamais des managers (gestionnaires) qui savent faire avec la fragilité, tant sur le plan des relations humaines que des modèles économiques, sociaux et environnementaux.
Quelques points clés pour faire avec la fragilité.
Bien faire la différence entre fragilité et vulnérabilité.
Manager (gérer), ce n’est pas avancer comme un « bulldozer » et compenser ponctuellement par des solutions de gestion sociale et économique des dommages collatéraux que l’on perçoit. La vulnérabilité se voit, c’est la fêlure sur le bol japonais sur laquelle il est particulièrement raffiné d’effectuer une réparation avec de la feuille d’or (kintsugi). Ce sont des catégories particulières, des individus fragiles au sens du Code pénal.
La fragilité, ce n’est pas si net. Il y a une forme de faiblesse intérieure, comme un rondin de bois creusé de l’intérieur. La percevoir, pour soi ou pour les autres demande une attention particulière. L’autre caractéristique de la fragilité, c’est qu’elle est pratiquement impossible à compenser ou à réparer. Elle renvoie à notre finitude. C’est la raison pour laquelle elle est difficile à voir. Et elle concerne tout le monde, pas seulement une catégorie de personnes.
La fragilité concerne tout le monde, elle est souvent peu visible et il n’est pas toujours facile d’y remédier. Manager (gérer), c’est savoir faire avec une fragilité souvent masquée et à laquelle il n’est pas facile de remédier. C’est savoir percevoir les zones de fragilité dans les hommes et les situations, capter les signaux faibles et les accepter pour adapter sa manière de faire.
Gérer les émotions liées à la fragilité
La fragilité inspire du dégoût ou de la colère, avec un sentiment d’impuissance ou de honte. Dans un registre professionnel, la fragilité est souvent considérée comme un repoussoir. D’où quantité de réactions telles que le déni, l’évitement ou une compassion pas toujours saine.
Les managers (gestionnaires) qui savent faire avec la fragilité ne se laissent pas envahir par ces ressentis stéréotypés. Ils s’y intéressent sans peur, l’examinent de près et savent prendre du recul et objectiver le débat. La fragilité peut susciter de la surprise, de l’émerveillement, de la fierté lorsqu’on sait faire avec.
Dépasser la gestion problème-solution
La fragilité correspond à un processus de dégradation lente des facultés ou à des schémas souvent inconscients qui se reproduisent. Cet état de fait est dérangeant pour la gestion orientée vers l’action et la résolution des problèmes, d’où 3 attitudes :
1) La négation de la fragilité, où l’on va repousser les limites des capacités humaines : transhumanisme, homme augmenté, développement personnel.
2) La compensation de la fragilité : la fragilité entre dans le cadre des facteurs de risque psychosociaux, elle est du domaine des RH, des gestionnaires de proximité, des représentants du personnel… $
3) L’ignorance, c’est-à-dire le déni de l’existence, le culte du non-dit et la foi dans les processus, les procédures et autres lignes Maginot.
C’est du moins ce qui est véhiculé dans les représentations sur la gestion toute puissante construite autour du modèle « presse-bouton » problème-solution. Manager (gérer) la fragilité, c’est aller au-delà, savoir attendre, ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, prendre du recul et être un peu stratège dans un monde imparfait.
Modestie, calme, humilité, acceptation des limites, autant de qualités qui mettent en confiance les équipes et qui les incitent à dévoiler leurs talents et leurs fragilités.
Au final, faire avec la fragilité, c’est accepter de ralentir
À grande vitesse, la fragilité ne se voit pas. D’où l’apparition parfois de ruptures brutales : des krach, des burn out. En prenant le risque que ça ne se relève pas! D’où la nécessité de savoir ralentir, de faire quelques arrêts en gare : se poser, sonder le moral des équipes, observer le marché. C’est en général à ce moment-là que la fragilité qui peut être vue comme un puits sans fond se transforme comme l’endroit à travers lequel passe la lumière. Il peut s’agir d’un moment d’agrément, d’une rencontre fortuite. Cela ne peut pas se programmer. D’où la nécessité de savoir aussi ralentir.
François Chauvin intervient comme formateur, conseil et coach et est expert du réseau Germe.
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