Lors des dernières élections présidentielles américaines, beaucoup de sondeurs et d’analystes furent stupéfaits par l’élection de Donald Trump. Les sondages ne laissaient nullement entrevoir sa victoire et la possibilité que certains groupes sociodémographiques comme les femmes, les noirs, les personnes ayant une éducation postsecondaire puissent voter significativement pour le candidat Trump, était peu probable. Or, nous connaissons tous la suite des choses… Mais que s’est donc-t-il passé? Erreur d’échantillonnage? Erreur d’analyse? Données insuffisantes? Toutes ces réponses?
Mais se pourrait-il que certaines personnes aient menti aux sondeurs? Et si oui, dans quel but? L’une des explications qu’il faut d’emblée considérer est le fait que certaines personnes ont une propension plus ou moins marquée à donner des réponses consensuelles ou qui ne portent pas à la controverse lorsqu’elles sont appelées à se prononcer formellement sur un sujet. Dans un contexte donné, la personne évalue qu’elle est la « bonne » réponse à donner et répond conséquemment, même si ce n’est pas ce qu’elle pense fondamentalement. Elle répond dans le sens de ce qui est socialement entendu, socialement désiré. Dans le cas des élections américaines, un électeur ayant comme caractéristique d’être noir, une femme ou un diplômé universitaire pouvait certes penser que d’indiquer qu’il appuierait Donald Trump pourrait laisser d’aucuns circonspects. Certaines personnes ont donc plus ou moins sciemment indiqué aux sondeurs ne pas appuyer ce candidat alors qu’une fois dans l’isoloir, c’est tout le contraire qui s’est produit. Dans la suite de notre série sur les biais cognitifs, nous nous proposons donc de circonscrire le biais de la désirabilité sociale.
Essentiellement, la désirabilité sociale est la tendance des personnes à donner des réponses socialement recherchées et conformes au « goût du jour ». Par exemple, des personnes affectées par ce biais pourraient dire qu’elles considèrent important de freiner le réchauffement climatique, de manger santé, de faire de l’exercice régulièrement, de faire du bénévolat même si aucun comportement manifeste ne peut être observé chez ces personnes sur ces sujets. Cette préférence pour les réponses socialement désirables peut se faire au détriment de l’expression sincère des opinions et croyances personnelles, ce qui a pour conséquence d’induire en erreur autrui.
Chez les chercheurs en sciences sociales, ce phénomène est bien connu et il se doit d’être tenu pour compte lors de l’analyse des résultats d’une enquête scientifique. Parfois, il fera l’objet d’une mesure bien spécifique afin d’en mitiger les effets sur les réponses données par les répondants. En contexte de négociation, il peut certes créer bien des incompréhensions chez les vis-à-vis et même chez les personnes du même côté de la table de négociation…
De fait, ce biais cognitif peut faire en sorte que, malgré un mandat qui ne va pas dans ce sens, des négociateurs pourraient avoir tendance à laisser entendre qu’ils ont de l’ouverture à modifier certaines dispositions de la convention collective, car il serait socialement désirable de le faire. On peut ici penser à un négociateur patronal qui montrerait de l’ouverture à accorder plus de temps de repos aux salariés, à implanter un programme plus sévère pour contrer le harcèlement sexuel ou pour renforcer les programmes de santé et sécurité au travail. Chez le négociateur syndical, ce pourrait être un discours proflexibilité dans les horaires de travail, la considération du contexte économique peu favorable à l’entreprise pour revoir certaines conditions de travail ou le fait de ne pas vouloir défendre à tout prix un salarié discipliné pour un manquement grave. Or, dans tous ces cas de figure, il est possible qu’ils n’aient pas un mandat pour aller dans le sens de leurs propos, mais comme il peut être difficile de s’inscrire en faux avec des idées socialement consensuelles, ils pourraient démontrer une ouverture en ce sens, du moins, au niveau du discours.
Le problème devient donc que l’autre partie qui entend des propos de cet acabit, pourrait s’attendre à une avancée en ce sens. Si elle constate qu’il n’y a pas de propositions concrètes qui s'ensuivent, elle aura tôt fait de crier à la mauvaise foi ou au leurre délibéré. S’ensuivent généralement des épisodes acrimonieux à la table de négociation.
La désirabilité sociale n’est pas un mensonge assumé, délibéré. De fait, les personnes affectées par ce biais n’auront pas l’impression de mentir et souvent ne réaliseront pas la portée de leur propos. Elles auront tendance à exprimer spontanément un propos socialement consensuel même si cela ne reflète pas le fondement de leur opinion propre ou le mandat qu’elles ont à réaliser.
Si certaines personnes sentent le besoin de dénaturer leur propre opinion lorsqu’elles répondent anonymement à un sondage ou à une enquête d’intérêt général afin de ne pas être prises en flagrant délit d’exprimer une opinion qui n’est pas celle attendue par la majorité, pouvons-nous imaginer ce qu’il pourrait en être si toute l’attention était dirigée vers elles comme c’est le cas lorsqu’une personne s’exprime à une table de négociation…
Jean-François Tremblay, CRIA, Ph. D., est professeur au Département de relations industrielles de l’Université du Québec en Outaouais.
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