On l’a dit à moult reprises, le monde du travail a été bouleversé au cours des deux dernières années. À cause de la pandémie mondiale, 40 % des Canadiens ont dû passer au télétravail. C’est une grande différence par rapport à 2018, puisqu’alors ce n’était que 8 % des travailleurs canadiens qui effectuaient une partie de leurs heures de travail à domicile (1). Dans le cadre de mes fonctions, j’ai eu l’opportunité de discuter avec des dirigeants d’entreprises et des employés de différentes organisations qui m’ont dit apprécier la flexibilité que leur offrait le télétravail. Toutefois, l’une des préoccupations qui m’a été le plus souvent soulignée est la difficulté à déconnecter en fin de journée. En effet, plusieurs personnes m’ont parlé du stress causé par le fait que la ligne entre la vie personnelle et la vie professionnelle devenait presque inexistante puisque le lieu de travail, pour la grande majorité d’entre eux, est maintenant leur résidence. Cela m’a amené à effectuer des recherches afin de me pencher sur le droit à la déconnexion.
Il existe plusieurs interprétations de ce qu’est le droit à la déconnexion, mais règle générale, il est défini comme le concept selon lequel les travailleurs devraient pouvoir se déconnecter des outils de communication pour le travail en dehors des heures de travail (2).
Le droit à la déconnexion est étroitement relié à l’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle, ainsi qu’au mieux-être. Le concept d’hyperconnectivité émerge ici également, vous l’aurez deviné, à cause de la facilité à rester connecté en tout temps avec le travail grâce aux téléphones intelligents. Ce concept d’hyperconnectivité, imposé par un employeur, ou par un employé, sur lui-même de son propre gré (voilà un sujet à débat pour un prochain billet!), peut non seulement causer de la fatigue excessive, mais également avoir une incidence négative sur la santé mentale. Dans l’optique où les employeurs font face à une pénurie criante de main-d’œuvre, qu’ils n’ont de cesse de chercher de nouvelles façons de se démarquer et d’être avant-gardistes, je vois ici une occasion en or pour eux : de s’afficher parmi les premières entreprises à se doter d’une politique sur le droit à la déconnexion!
La France, en 2017, a été le premier pays à reconnaître le droit à la déconnexion : les entreprises comportant plus de 50 employés doivent établir des pratiques visant à limiter l’intrusion des technologies (comme les courriels) dans le temps de repos de leurs employés. « Audacieux! », me direz-vous. Oui. Peut-être. Toutefois, aucune sanction n’est prévue pour les entreprises qui choisissent de ne rien faire. Pour cette raison, plusieurs employés craignent de se prévaloir de ce droit, à cause de possibles représailles de la part de leur employeur, ou encore de conséquences négatives sur leur carrière. C’est certain que cette approche n’est pas idéale, mais je crois tout de même que c’est un pas dans la bonne direction. La Belgique, l’Espagne et l’Italie ont emboîté le pas et légiféré sur le droit à la déconnexion et exigent également des organisations qu’elles se dotent d’une politique sur le sujet. L’Allemagne a aussi mis en place des mesures volontaires et certaines organisations ont pris la question très au sérieux en désactivant les serveurs de courriel à l’extérieur des heures de bureau!
De notre côté de l’Atlantique, au Canada en 2019, la ministre du Travail a demandé la formation d’un Comité consultatif sur le droit à la déconnexion. Composé d’experts sur les normes de travail fédérales, d’experts de l’Organisation internationale du travail et de représentants des secteurs sous règlementation fédérale (employeurs et syndicats), le Comité s’est réuni pour la première fois en 2020. Les recommandations qui ont émané de ce rapport me laissent perplexe, notamment parce que les différents représentants ne sont pas alignés sur plusieurs points et que les recommandations conjointes sont entre autres que « le gouvernement devrait faciliter le partage de meilleures pratiques » et que « le gouvernement devrait améliorer la collecte de données sur cette question ».
Du côté du Québec, nous n’avons pas de quoi être plus fiers. Dans une entrevue accordée en février 2020 à La Presse Canadienne et reprise par le quotidien Le Soleil, Jean Boulet, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, a dit que « pour l’instant, il n’est pas nécessaire, selon lui, d’imposer une formation obligatoire en milieu de travail sur l’usage raisonnable des outils numériques. Il serait également prématuré de déployer une campagne de sensibilisation gouvernementale. ». D’autre part, il se dit « soucieux, mais n’entend pas légiférer ». Force est de constater que le Québec choisit plus ou moins d’ignorer la question.
Les courriels et l’utilisation des téléphones intelligents avaient, avant la pandémie, rendu plutôt mince la ligne entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Le télétravail pour une vaste majorité des travailleurs a ensuite fait disparaître la zone tampon entre le départ du bureau et le retour à la maison. Certains pays ont décidé de prendre les choses en main, mais le nôtre semble avoir d’autres préoccupations. Qu’à cela ne tienne, je crois pour ma part que les dirigeants d’entreprises et les professionnels RH ont ici non seulement une opportunité, mais également un devoir, à l’égard du mieux-être de leurs employés, et qu’ils devraient à tout le moins réfléchir sur la question et sensibiliser leurs employés aux dangers de l’hyperconnectivité. Les entreprises ont tout à y gagner, que ce soit au niveau de l’attraction des talents, du renforcement du sentiment d’appartenance, de l’engagement, de la rétention et de la réduction de l’absentéisme.
(1) Statistique Canada.
(2) Rapport final du Comité consultatif sur le droit à la déconnexion, février 2022, Emploi et Développement social Canada.
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