De quoi parle-t-on?
Imaginez-vous aux commandes d’un Airbus au milieu de l’Atlantique, en plein cœur d’une tempête. Vos instruments tombent en panne, les radios grésillent, et vous avez 300 passagers à bord. Face à cet instant critique, que reste-t-il ? Votre instinct. Quand tout vacille et que les repères s’effacent, qu’est-ce qui distingue les personnes leaders qui agissent avec succès de celles qui hésitent ou s’égarent?
La réponse tient souvent en un mot : l’instinct.
Mais attention, ici, l’instinct n’est ni une impulsion irréfléchie ni un éveil soudain. C’est une faculté patiemment cultivée, un art subtil qui réconcilie l’intuition, la raison et la gestion de ses émotions. L’instinct ne s’improvise pas mais se forge à travers des expériences répétées, des observations aiguisées et une écoute attentive des signaux subtils.
Dans son ouvrage Système 1, Système 2, Daniel Kahneman décrit la tension entre deux formes de pensée : l’une rapide et intuitive, l’autre lente et analytique. L’instinct s’inscrit dans cette dynamique, mais il ne s’agit pas d’une simple réaction impulsive. C’est une intuition éclairée, informée par l’expérience et la connaissance. Pour une personne leader, cultiver cette aptitude est une nécessité dans un monde en mutation constante.
Pourquoi est-ce important aujourd’hui?
- Un monde d’incertitude : nous vivons dans un environnement où les paramètres changent constamment. Les plans rigides volent en éclats face à ce qui est imprévisible, et l’instinct devient un guide précieux dans ce contexte.
- La contrainte du temps : l’accélération des cycles de décision impose d’agir vite. Dans ces moments, l’instinct permet d’agir sans attendre l'aval de données exhaustives.
- L’importance d’être pionnier : sur un marché saturé, l’instinct permet de saisir une opportunité avant même qu’elle ne devienne évidente pour les autres.
- Naviguer dans le chaos : les leaders d’aujourd’hui évoluent dans un monde saturé d’émotions exacerbées, de contradictions et de signaux contradictoires. L’instinct est essentiel pour discerner les véritables enjeux des effets de mode.
Comment cultiver son instinct de leader?
- Connaître ses forces et ses compétences : l’instinct repose sur la maîtrise de son domaine. Par exemple, un investisseur reconnaît les signes d’une bulle financière parce qu’il a étudié les cycles économiques, comme ceux de Kondratieff ou de Juglar. Identifier des schémas récurrents, c’est se donner les clés pour anticiper.
- Capter les signaux faibles et aiguiser sa perception subtile : l’instinct peut reposer sur un détail. Un changement de température dans la pièce, une pause hésitante avant une réponse, un regard qui se détourne… Ces indices imperceptibles peuvent révéler des tensions ou des opportunités cachées. L’observation des micro-expressions et des signaux faibles peut nourrir votre instinct.
- Cultiver la confiance en soi : croire en son instinct n’est pas inné, surtout dans une société qui sanctuarise la pensée rationnelle : « être cartésien ». Pourtant, même Descartes reconnaissait l’importance de l’intuition pour comprendre et appréhender le réel.
- Répéter, répéter, répéter : à force de s’entraîner et de répéter ses gammes, on parvient à sauver une balle de match en finale de Wimbledon avec une passe en revers à l’instinct…
Quelques points d’attention pour utiliser son instinct à bon escient
- Maîtriser son contexte : l’instinct n’exempte pas de considérer les faits. Connaître son marché, ses équipes et ses capacités est indispensable pour ne pas se laisser guider par des intuitions erronées.
- Garder l’esprit critique : comme le souligne Daniel Kahneman, les biais cognitifs peuvent déformer l’instinct. Remettez toujours en question vos intuitions et cherchez des preuves qui les valident ou les remettent en question.
- Valider avec le temps : pour savoir si votre instinct est fiable, mesurez les résultats de vos décisions. Prenez des feedbacks honnêtes et évaluez-les à froid. Avec le temps, vous pourrez mieux apprécier la précision de votre instinct.
- Équilibrer intuition et raisonnement : les meilleures décisions sont celles qui réconcilient instinct et analyse. Si l’instinct est un point de départ, l’analyse permet de le challenger et de l’ajuster. C’est un équilibre subtil à trouver.
- Reconnaître les limites de son instinct : l’instinct ne garantit pas toujours le succès, surtout dans des situations totalement inédites ou dans des domaines éloignés de vos compétences. Restez humble et consultez des spécialistes.
L’instinct de leader est une capacité précieuse, mais elle ne se développe pas du jour au lendemain. Il s’agit d’un équilibre subtil entre l’intuition personnelle, façonnée par l’expérience et les perceptions uniques de chaque leader, et l’observation des dynamiques extérieures, du monde qui l’entoure. En jonglant entre son propre ressenti et les signaux du marché, une personne leader peut prendre des décisions éclairées, même dans l’incertitude. La véritable question est donc : comment cultiver cet instinct pour être, au bon moment et au bon endroit, capable de saisir les opportunités avant qu’elles ne deviennent évidentes?