De plus en plus d’experts et de commentateurs de la scène économique annoncent une potentielle récession début 2023. Personne ne peut prédire l’ampleur et la durée du dit ralentissement économique, mais une chose est sûre, les hausses récentes du taux directeur de la banque centrale semblent déjà ralentir le rythme des dépenses des ménages et des entreprises. Le Canada a ainsi connu un premier ralentissement de la croissance de l’emploi[1] et à l’instar de la Mortgage Bankers Association[2] aux États-Unis, certains observateurs prédisent une hausse des pertes financières et du nombre de chômeurs. Alors, la récession viendra-t-elle à bout des enjeux de pénurie de main-d’œuvre?
Faute de pouvoir prédire l’avenir, regardons le passé. Depuis 1992, la tendance à la baisse du taux de chômage est très claire. Cette tendance a été perturbée par des évènements socioéconomiques, les récessions du début des années 1990 et des années 2000, la crise des papiers commerciaux du début à la fin des années 2000, et plus récemment, la COVID-19. Bref, plus ou moins tous les 10 ans, l’économie est bouleversée et l’emploi s’en ressent. On a donc vécu, pour des périodes variant de quelques mois à quelques années, des remontées du nombre de demandeurs d’emploi.
Ce qui ne change pas, c’est la tendance pénurique à moyen terme et la raison est simple. Le principal facteur affectant la disponibilité de la main-d’œuvre c’est la démographie. Donc, à l’échelle de quelques mois, le ralentissement économique annoncé aura certainement un effet sur l’emploi, mais nous devons nous rendre à l’évidence, nous reviendrons ensuite au même point.
Dans les dernières années, on nous a annoncé régulièrement de nouveaux records historiques de faible taux de chômage. Et il est vrai qu’avec un taux de chômage avoisinant les 4,5 % nous sommes en dessous du seuil du plein emploi qui, selon l’Organisation internationale du Travail, se situe à 5 %. Ainsi, avec le ralentissement, on prévoit une hausse du taux de chômage… de 2 %[3] ...ce qui placerait le taux à 6,5 %. Pour les personnes affectées, une perte d’emploi n’est jamais agréable, mais perdre son emploi sur un marché de l’emploi où le taux de chômage est à 6,5 % / 7 %, c’est quand même moins dramatique. Rappelons-nous qu’en 1992, le taux était de 12,5 %... on est loin de cette situation. Nous pourrions ainsi avoir 100 000 à 150 000 personnes additionnelles en recherche d’emploi au Québec alors que nous comptons déjà actuellement 250 000 postes vacants.
Dans les faits, si le ralentissement économique se concrétise, il est probable que certaines personnes retardent leur retraite, par insécurité, surtout si l’inflation continue. Le phénomène combiné d’inflation et de ralentissement économique pourrait donc diminuer les départs à la retraite et ainsi retarder l’accroissement de la pénurie de main-d’œuvre.
Cependant, si l’inflation continue et la récession se met de la partie, les entreprises pourraient retarder leurs investissements en technologie et en automatisation. Or, ces investissements sont l’une des solutions pour diminuer les besoins de main-d’œuvre. Ainsi, l’incertitude économique pourrait accroitre les besoins de main-d’œuvre et donc annihiler les bénéfices des retraites retardées.
De plus, en période de récession, certaines créations de postes seront temporairement annulées, par exemple pour les postes liés à de la croissance et à du développement. Par contre, tous les postes essentiels comme dans le secteur de la santé, de l’éducation, des services aux personnes âgées devront encore être remplacés. Même en récession, on continue d’aller à l’école et de tomber malade. Le gel d’embauche n’est donc pas systématique lors des récessions. On assiste plutôt à un certain déplacement des travailleurs des secteurs moins essentiels vers les secteurs essentiels, plus stables. Le meilleur exemple est l’embauche massive de préposés aux bénéficiaires pendant la crise de la COVID-19.
On le voit à chaque crise ou ralentissement économique, certaines entreprises sabrent dans leurs effectifs pour améliorer leur rentabilité. S’il s’agit d’un calcul comptable raisonnable, il s’agit d’une erreur stratégique majeure. En effet, les économistes prévoient une récession de courte durée et le recours rapide aux mises à pied pourrait vous coûter très cher puisque :
À moins d’un ralentissement économique majeur, l’effet d’un ralentissement économique sera de retarder la détérioration de la disponibilité de main-d’œuvre et non pas de résoudre la problématique de pénurie à laquelle nous faisons face. Nous, les experts en ressources humaines, avons le devoir d’aider nos entreprises à garder le cap dans leur stratégie de ressources humaines en les aidant à regarder à moyen et long terme plutôt que de se laisser influencer par les nuages gris. La pénurie de main-d’œuvre n’est pas sur le point de se régler, en tout cas si le ralentissement est de courte durée, ceteris paribus[5].
[1] https://www.ledevoir.com/economie/762315/le-taux-de-chomage-au-canada-a-diminue-a-5-2-en-septembre.
[2] cnn.com/2022/10/24/economy/goldman-sachs-accidental-recession-warning/index.html.
[3] Idem 2
[4] https://www.shrm.org/resourcesandtools/hr-topics/talent-acquisition/pages/the-real-costs-of-recruitment.aspx.
[5] Ceteris paribus est une locution latine se traduisant par : « toutes choses étant égales par ailleurs ».
Emilie est cofondatrice et rédactrice en chef du e-magazine FacteurH.com ainsi qu'animatrice de l'émission Web VecteurH.
Didier Dubois a cofondé HRM Groupe en 2006 qui s'est joint à Humance en 2023.
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