Été 1987. J’étais moniteur de natation à la piscine du parc Lasalle à Lachine. La maman de Juliette, 7 ans (nom fictif) voulait me rencontrer, outrée que sa fille n’ait pas réussi son cours! J’avais pourtant pris soin d’expliquer à Juliette, très fière d’elle, qu’elle avait réussi 9 des 12 exigences du cours en lui remettant son carnet de natation, et qu’il lui restait à travailler quelques éléments que je n’avais pas encore observés pour lui permettre de passer au niveau suivant. Il ne restait que quelques efforts supplémentaires à réaliser pour faire, notamment, l’étoile sur le dos et ouvrir ses yeux dans l’eau. Juliette avait très bien progressé au cours de la session! C’était super et elle avait bien compris tout ça! Pour sa mère, c’était la catastrophe! Sa fille vivait un échec, à cause de moi, le cruel moniteur! Juliette réagissait nettement mieux, du haut de ses 7 ans, que sa pauvre maman. Pourquoi ne pas se réjouir d’avoir atteint 9 des 12 critères plutôt que de vivre la déception intense de ne pas avoir réussi 3 petits critères résiduels? À quel âge apprend-on qu’il faut toujours réussir et être le meilleur en toute circonstance? Je n’en sais rien! La maman de Juliette a assurément contribué à ce triste apprentissage en réagissant aussi intensément ce jour-là!
Quelques questions de réflexion :
Aucun être humain ne se ressemble totalement. Traits physiques, personnalité, taille, timbre de voix, empreintes, yeux… nous sommes tous uniques! Pourquoi faudrait-il que nous performions tous de la même façon alors? Personne n’a les mêmes talents et ne progresse au même rythme, et il n’y a rien de mal à cela! Chacun performe simplement à sa manière!
En entreprise, pourquoi ne pas lancer des défis trimestriellement qui exploitent les forces de chacun au profit de l’organisation, plutôt que de démotiver les gens en focalisant sur les quelques éléments de la performance qui sont moins exceptionnels? Un fromage gruyère est excellent, même s’il contient quelques trous, non?
Avons-nous réellement besoin d’une cote pour discuter de performance? Identifier ensemble quelques cibles à atteindre, avec indicateurs mesurables, c’est bien! Oui aussi aux objectifs SMART (spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporels). Mais il faut interroger les critères absolus et la cote globale de performance. La majorité des gens rêvent de discussions stimulantes et passionnantes où les patrons, ayant confiance en chacun des membres de leurs équipes, sont curieux de trouver avec eux les meilleurs moyens de soutenir leur performance. Je rêve de cadres qui stimulent leurs troupes plutôt que de bêtement les juger avec une cote présentée ainsi : « Ta performance mérite un 3 sur 5! C’est bon! C’est conforme aux attentes. » L’employé déçu peut légitimement se dire en de telles circonstances : « oui, mais patron… tu me donnes uniquement la note de passage à 60 % avec un 3/5… c’est démotivant ça, je mérite mieux que ça! » Pourquoi ne pas plutôt s’aligner sur une conversation stimulante… adaptée aux besoins de chacun et aux orientations prioritaires du moment du département ou de l’organisation?
On discute?
Appelons ça des conversations stimulantes et oublions la gestion de la performance. Un employé stimulé émotivement et intellectuellement par son patron performe nettement mieux qu’un employé démotivé ou craignant d’être jugé négativement.
Des conversations fréquentes, courageuses et bienveillantes entre patrons et employés basées sur des faits et dénudées de jugements et d’opinions. Des indicateurs de performance pour se mesurer en fonction de ce qui est important pour le moment dans l’équipe ou dans l’organisation. Des défis stimulants qui tiennent compte des talents de chacun. Du soutien au développement des talents. De la curiosité et de l’ouverture d’esprit, de part et d’autre. Il me semble que ça remplace très bien une cote de 1 à 5 sur 32 critères plus ou moins bien définis ou compris dans un formulaire de 12 pages, non?
Et quant à nous, aux RH, une mission : celle de soutenir les gestionnaires pour qu’ils soient bons à faire ça, le plus rapidement possible.
Ah! Et à celles et ceux qui ont besoin d’une cote pour revoir la rémunération, sachez que depuis septembre dernier, j’ai croisé des gestionnaires de deux organisations (une française et une québécoise) qui m’ont dit avoir demandé à leurs employés de leur indiquer (en leur expliquant à priori quelques paramètres) combien ils pensaient mériter comme salaire pour la prochaine année! C’est fou ce qu’on obtient comme résultat quand on fait confiance aux gens et qu’on fait appel à leur intelligence! Ces deux organisations vont très bien et sont en pleine croissance!
Alors, on vote pour les conversations stimulantes chez vous?
Mario Côté est conseiller en ressources humaines agréé et formateur agréé. Il possède une solide expérience en matière de gestion d’équipes de travail.
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