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Pourquoi l’argent motive-t-il peu ou mal?

jacques forest
Jacques Forest 1 avril 2017

— Par Jacques Forest, CRHA, professeur-chercheur, ESG-UQAM, Marylène Gagné, professeur-chercheur, École de gestion John-Molson (Université Concordia), Nathalie Houlfort, professeur-chercheur, UQAM, Nicolas Gillet, professeur-chercheur, Université François-Rabelais de Tours (France), Sarah Girouard, CRHA, et Laurence Crevier-Braud, doctorantes, UQAM

Il est généralement admis que la rémunération est l’une des raisons principales pour travailler. « Il faut travailler pour vivre », selon le dicton. En outre, selon Locke, Feren, McCaleb, Shaw et Denny, la rémunération est la technique motivationnelle la plus efficace.

Or, bien que la rémunération globale (rémunération de base, rémunération variable et avantages sociaux) puisse être un élément motivationnel important dans une relation d’emploi, nous pouvons affirmer que l’argent, passé un certain seuil, motive très peu ou même mal. De plus, bien que les programmes de rémunération en fonction du rendement puissent être à la fois bénéfiques pour l’individu et l’entreprise, ils ont également des effets néfastes, souvent sous-estimés.

 

L’argent est important... mais pas tant que ça!

Le fait de recevoir une rémunération en échange d’un travail est une notion si fortement enracinée dans l’imaginaire collectif qu’elle n’est jamais remise en question. En corollaire, il est évident que l’on arrêterait de travailler si on n’était pas payé... Mais la fonction économique du travail est-elle si importante que cela? Étonnamment, plus de 70 % des individus à qui on a demandé s’ils continueraient de travailler s’ils avaient suffisamment d’argent pour vivre confortablement jusqu’à la fin de leurs jours ont répondu par l’affirmative.

L’argent est donc important, mais pas indispensable pour expliquer les comportements et attitudes au travail. Diener, Ng, Harter et Arora nous apprennent pour leur part que l’argent est important pour avoir des conditions de vie satisfaisantes, mais qu’au-delà d’un certain seuil, le bien-être peut être expliqué par la satisfaction des besoins psychologiques fondamentaux d’autonomie, de compétence et d’appartenance sociale. L’hypothèse selon laquelle l’argent permettrait d’avoir minimalement accès à une vie évaluée comme confortable a été confirmée dans des recherches comparant les pays en voie de développement et les pays développés.

Donc, l’argent fait-il le bonheur? Il semble que oui, jusqu’à un certain point... En fait, l’obtention d’un salaire a un impact motivationnel particulièrement puissant chez les salariés dont les revenus sont bas ou inexistants puisqu’il leur permet d’avoir accès à des conditions de vie décentes. Mais, au-delà de ce seuil (qui varie selon le système social dans lequel la personne évolue), l’argent n’a aucun impact sur le bien-être. Ce qui importe alors est d’avoir des conditions propices à la satisfaction des trois besoins psychologiques fondamentaux. Si l’argent ne peut acheter le bonheur, peut-il alors acheter la performance?

 

Des faits étonnants sur le pouvoir motivationnel de l’argent

Selon Jenkins, Mitra, Gupta et Shaw, la rémunération individuelle de type commission, à la pièce ou au rendement pourrait être bénéfique dans des tâches simples, où seule la quantité est importante. Mais ces tâches sont assez rares, surtout dans l’économie du savoir dans laquelle nous évoluons. Pourquoi les entreprises continuent-elles à utiliser ce type de rémunération si elle ne mène pas aux résultats escomptés? Pour répondre à cette question, il importe tout d’abord de bien comprendre les différents types de motivation au travail (voir tableau ci-dessous).

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On a constaté que plus les employés rapportent de hauts niveaux de motivation introjectée et externe, plus les conséquences sont négatives sur les plans psychologique (distraction), physique (épuisement), comportemental (compétition) et économique (plus de dépenses en santé). Or, ce sont précisément les motivations introjectées et externes qui sont plus souvent stimulées par la rémunération fondée sur le rendement, et ce, en plus de diminuer la motivation intrinsèque.

Volontairement ou involontairement, le fait qu’il y ait des effets négatifs aux récompenses au rendement est largement ignoré dans les entreprises. La rémunération fondée sur le rendement aura assez fréquemment pour effet d’orienter les efforts des travailleurs presqu’uniquement vers les comportements qui sont récompensés (les comportements non récompensés, mais souhaités, comme aider un collègue, étant soudainement oubliés), mais également de stimuler parfois des comportements non désirés (comportements antisociaux comme le « vol » des clients d’un collègue vendeur).

Également, verser de trop gros bonis à un groupe restreint d’individus considérés comme performants est non seulement inadéquat pour motiver les gens qui reçoivent les bonis, mais aura aussi pour effet de démotiver une masse critique de gens qui n’en reçoivent pas.

 

Conclusion

Si l’argent peut permettre de mettre en place des circonstances de vie confortable, il semble qu’il ne puisse pas acheter entièrement le bonheur, pas plus que la performance. Pour améliorer la performance, une source de « carburant » qui apparaît comme efficace et durable, au-delà de l’argent, est la satisfaction des besoins psychologiques d’autonomie, de compétence et d’appartenance. Ces besoins semblent pouvoir être satisfaits plus efficacement par d’autres moyens que l’argent, par exemple la signification donnée au travail et son impact sur la société de même que les relations interpersonnelles… Ce sont tous des facteurs non pécuniaires qui peuvent augmenter la satisfaction des trois besoins et, en définitive, le fonctionnement optimal.

De telles constatations peuvent sembler contre-intuitives et ébranler des convictions que nous croyions immuables; mais à la lumière de tels résultats scientifiques, il semble que trop d’importance soit accordée au pouvoir motivationnel de l’argent. La question à se poser est de savoir si les conséquences positives (ex. : efforts) dépassent les conséquences négatives (ex. : épuisement, comportements antisociaux, démotivation).

En pratique, comment changer les choses? On peut appliquer ce que propose Kohn, soit de bien payer les gens, de les payer de façon juste et équitable... et de faire ensuite tout son possible pour éviter que leur esprit ne se concentre que sur leur rémunération.

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